All along I believed I would find you.

Une semaine. Voilà maintenant sept jours que j’étais enfermée dans cet appartement.
Je me levais péniblement, enfilant les chaussons bleu pâle au pied du lit et la robe de chambre assortie avant de me diriger vers la cuisine. En passant, j’ouvrais quelques fenêtres ; le seul moyen pour que je puisse voir autre chose que l’intérieur de mon appartement. Aksel, couché dans son panier, ouvrit les yeux dès qu’il entendit mes pas et vint me saluer d’un coup de langue sur la main. « Hey, bonhomme. Tu as faim ? » Sa gueule se fendit en un grand sourire, un geste presque habituel chez les animaux avec lesquels je passais du temps. Je déposais sa gamelle pleine sur le sol et caressais le derrière de ses oreilles. ‘’… merci, Annie…’’ Puis il s’attaqua à ses croquettes.
Une routine s’était installée depuis mon arrivée à Cove Bay. Se lever, déjeuner avec Aksel, ouvrir la boutique, y passer la journée, saluer les clients habituels, tourner le panneau Closed, remonter dans l’appartement, diner avec Aksel et finalement, fermer les yeux après m'être affalée dans un lit trop grand. Je m’y étais pliée, acceptant l’idée de devoir passer le reste de mes jours isolée de la vraie vie, de personnes avec qui je pourrais me lier d’amitié ou d’amour.
Je posais mon regard encore endormi sur Aksel qui se léchait tranquillement les babines après son copieux petit-déjeuner. Le mérite de ma « survie » lui revenait entièrement ; pendant toutes ces années de solitude, il était le seul à venir me voir et à partager ses pensées qui réussissaient à coup sûr à me remonter le moral. Sans lui, rien n’aurait été possible. Il est la famille qu’il me manquait.
Avec un soupire, je finissais mon petit-déjeuner et me dirigeais vers la salle de bain pour me préparer. Rien de trop extravagant, juste un jean clair et une blouse légère. Une fois prête, je descendais les escaliers menant à la boutique, allumant les lumières au passage. Aksel se faufila encore mes jambes, passant aisément le premier dans le magasin et installant son coussin près de la caisse. Après avoir retourné le panneau signalant l'ouverture, je m'installais sur mon siège, un livre de Stephen King entre les mains pour attendre les premiers clients.
La matinée, comme toutes les autres, se passa de la même façon. Des habitués se mirent à bavarder avec moi, puis entre eux, racontant de nouvelles anecdotes sur leurs animaux de compagnies tandis que je hochais la tête lorsqu'il le fallait et riait au bon moment. Mais le cœur n'y était pas. Ces gens m'appréciaient, évidemment. Il voyait en moi la gentille jeune femme, souriante et amicale, très attachée à ses animaux. Mais aucun d'entre eux ne connaissait ma véritable identité. Aucune de ces personnes ne savaient qu'en ce moment même, mon chien me racontait grâce à ses pensées le rêve qu'il avait fait cette nuit. Que diraient-ils en découvrant que cette femme qu'ils pensaient être normale n'était rien d'autre qu'une paranormale ? Avec un soupir, je saluais la dernière cliente et me dirigeais vers la cuisine pour préparer mon déjeuner. J’offrais un morceau de mon sandwich à Aksel et m’installais une nouvelle fois derrière la caisse, les yeux rivés sur mon livre. Je n’entendis que très vaguement la cloche de la porte carillonner en face de moi, trop occupée à suivre les aventures de cette petite fille dotée du pouvoir de pyrokinésie. Ne souhaitant pas agacer le nouveau client, je m’adressais à lui – ou elle, peu importe – d’une voix absente. « Bonjour, puis-je vous aider ? » Aksel choisit ce moment pour venir me lécher la main, puis me mordiller les doigts en voyant que je ne réagissais pas. ‘’… Annie, regarde. Annie…’’ Contrariée d’avoir été interrompu, je poussais lentement mon museau pour le faire reculer, les yeux toujours fixés sur les pages du livre. « S’il te plaît, Aksel, sois sage et reste assis. » Puis, avec un reniflement, je l’entendis rebrousser chemin.

All along I believed I would find you.

Aksel savait depuis longtemps maintenant qu'il ne fallait pas me déranger lorsque j'étais en pleine lecture, surtout lorsqu'il s'agissait d'un des livres du grand maître de l'épouvante. Je me concentrais à nouveau sur l'histoire, ayant presque oublié qu'un client se tenait en face de moi. Les mots m'emportaient, l'histoire de cette jeune fille aux pouvoirs inquiétants me rappelant ma propre existence, mon propre don. C'est ce qui me plaisait le plus ; m'identifier aux personnages principaux des œuvres. Cela m'aidait en quelque sorte à m'échapper du quotidien, et surtout à ne plus penser à la vie qui m'attendait derrière les murs sécurisants de ma petite boutique. Malheureusement, la concentration m'échappa une nouvelle fois, et je poussais un petit soupir d'exaspération. N'allait-on jamais me laisser deux minutes de tranquillité ?
« Aniella Morenilli ? » La voix du nouveau client - un homme donc - me sortit de ma rêverie et je levais un regard ennuyé vers lui. Pendant un moment, un silence pesant s'installa entre nous. Mais il ne m'avait fallu qu'une seule seconde pour le reconnaître ; comment oublier ces yeux immenses et ce grand sourire contagieux ? J'avais eu le temps d'apprendre son visage par cœur lorsqu'il venait en vacances près de chez moi. Les moments passés ensemble sous le soleil brulant d'Italie me revinrent en mémoire ; des moments heureux, remplis de joie de vivre, et surtout d'amitié. Avec des gestes lents - j'avais peur de m'effondrer sur sol tellement je tremblais d'excitation - je sortais de derrière le comptoir et me plaçais devant lui. Ses yeux noisette, aussi brillants que dans mes souvenirs, ne me quittèrent pas un seul instant. Je profitais du bref silence pour l'inspecter, et remarquer qu'il n'avait pas changé, si ce n'est que ses traits avaient mûri, le rendant encore plus beau qu'avant. « Purée ! C'est bien toi ! » La réalité de la situation me frappa en pleine figure et mon visage s'illumina d'une joie infinie. Sans prévenir, je me jetais sur lui, entourant son cou de mes bras et respirant son parfum, une odeur rassurante qui me rappelait tant de bons souvenirs. « Oh mon Dieu, Shake ! Tu m'as tellement manqué ! » Le moment sembla durer une éternité, et encore ce n’était pas assez pour moi. Je me séparais de lui, gardant toujours une main sur son avant-bras – je venais de le retrouver miraculeusement, pas question de le laisser partir une nouvelle fois. Je pourrais presque en pleurer, mais pas question de verser des larmes – même de joie – aujourd’hui.
« Je... Qu'est-ce que tu fais ici, à Cove Bay ?! J'ai dû faire le tour de l'Italie en te cherchant ! » Évidemment, il fallait en venir au pourquoi du comment ; pas vraiment ma partie préférée mais la discussion reste inévitable. Je poussais un soupir imperceptible et passais une main dans mes cheveux. Je me rappelais la douleur que j'avais ressentie cet été, en voyant l'absence de Shake se confirmer. Aucune nouvelle pendant des mois, puis des années. Je m'étais tellement inquiétée, puis sans le vouloir, la résignation s'était installée petit à petit. Peut-être que quelque chose lui était arrivé, ou sa famille ne devait plus avoir les moyens de venir dans le sud de l'Italie pour leurs vacances. Les questions se multiplièrent dans ma tête, mais finalement, j'allais avoir des réponses. « Longue histoire... Tout a changé après ton absence, et je suis venue m'installer ici en espérant t'y trouver. » Peine perdue, malheureusement. Je m’étais réfugiée à Cove Bay parce que c’était le seul moyen que j’avais pour le revoir. Un double échec, en quelque sorte. Je l’avais perdu une seconde fois, et mon état avait empiré. Ma peur des gens s’était aggravée, je ne mettais plus un pied dehors jusqu’à ce qu’Aksel rentre dans ma vie.
Sentant ma tristesse passagère, Aksel vint s’installer à mes pieds, frottant son museau contre ma main libre. Je la passais dans sa fourrure en signe de remerciement. « J’étais tellement inquiète de ton absence, Shake ! Mais je n’avais aucun moyen de te joindre, et… j’avais tellement besoin de toi. » Contre mon gré, des larmes perlèrent au coin de mes yeux, mais je me dépêchais de les faire disparaitre. Nos retrouvailles devaient être un moment de joie, il n'y avait pas de place pour les pleurnicheries.